Le pouvoir en entreprise

Publié le par ANDRE Thierry

Le pouvoir comme problème d'organisation
Poser le problème du pouvoir comme le problème central d'une organisation (et non plus les besoins ou les motivations) est une petite révolution dans l'univers des représentations de l'entreprise. Longtemps, en effet, celle-ci a été montrée, en particulier par ceux qui y possédaient une responsabilité, comme un ensemble qui ne fonctionnait que sur un consensus. On voulait y voir l'image harmonieuse de membres d'une collectivité solidaire unissant leurs efforts pour lutter dans un univers dur, hostile, impitoyable et finissant par triompher grâce à leur union. Dans cette représentation idyllique, un peu "image d'Epinal", de l'entreprise, le jeu du pouvoir, les rivalités internes étaient passés pudiquement sous silence ou ignorés.

Sans nier la nécessité d'une unité, force est de reconnaître que les choses ne se passent pas d'une manière aussi harmonieuse. La vie quotidienne de toute organisation est constituée de conflits de pouvoir. Ceux-ci ne sont pas liés seulement à des ambitions personnelles, et, par principe, l'analyse stratégique s'interdit de porter des jugements moraux. On constate que des individus et des groupes, différents de par leur formation et leur fonction, ont des objectifs qui ne coïncident jamais exactement. Chacun a sa vision des moyens nécessaires pour assurer le fonctionnement de l'ensemble. Cette vision différente entraîne des stratégies pas toujours concordantes. Il y a conflit de pouvoir. Et ce conflit entraîne à son tour le besoin d'un pouvoir régulateur de ces conflits, Double nécessité d'un pouvoir.


Fonctions et pouvoir

On illustre facilement ce fait par le constat suivant. Chaque grande fonction de l'entreprise est occupée par des personnes qui ont reçu une formation différente et dont les objectifs sont en partie contradictoires. L'opposition entre l?objectif de la production sortir un produit de série, donc le plus homogène possible et l'objectif du commercial adapter chaque produit au goût du client, donc avoir des produits diversifiés est proverbiale. On rapporte à ce propos la phrase d'Henry Ford à ses agents commerciaux :"Demandez-moi n'importe quelle couleur de voiture, pourvu qu'elle soit noire."Toute analyse un peu approfondie d'entreprise révèle le même type de phénomènes. On y rencontre des conflits entre services qui prennent la forme de conflits de pouvoir : chacun cherche à influencer en faveur de la solution qui a sa préférence Ces conflits devront être arbitrés par l'équipe de direction ou le dirigeant, jouant ainsi un second jeu de pouvoir.


Tentative de définition du pouvoir

Ces exemples vont nous permettre de donner du pouvoir une première définition très générale : le pouvoir est la capacité pour certains individus ou groupes d'agir sur d'autres individus ou groupes.

Cette définition a l'intérêt de mettre l'accent sur le caractère relationnel du pouvoir. C'est dire que celui-ci se présente comme une relation et non comme un attribut. Un attribut se définit comme "ce qui est propre, appartient particulièrement à un être, à une chose", selon le Petit Robert qui donne comme exemple : "le droit de grâce était un des attributs du droit divin". Cet attribut se définissait indépendamment de son exercice, en soi pourrait-on dire. Le définir comme une relation, c'est mettre l'accent sur le fait que le roi, se voyant reconnaître ou exerçant concrètement ce droit, est en relation avec ses sujets, objets potentiels ou en actes de ce droit. Avant même de gracier concrètement tel ou tel condamné, la possession du droit de grâce crée une relation particulière entre le roi et ses sujets, La critique violente de l'arbitraire royal portera, entre autres, sur la possession de ce droit, que les révolutionnaires tenteront de définir comme une relation entre le peuple souverain et le pouvoir auquel ce dernier peut déléguer momentanément certains droits.


Relations de pouvoir ou pouvoir des relations

 L'idée de relation va au-delà de la délégation, Elle inclut l'idée de réciprocité, Celui qui détient le pouvoir le supérieur peut contraindre un inférieur à agir, mais celui-ci peut exécuter cette action de multiples manières. Il peut obéir avec zèle, ou en traînant les pieds, mettre l'accent sur tel aspect de sa mission plutôt que sur tel autre, C'est un fait d'expérience courante de constater que tel subordonné juge important tel aspect que son supérieur traite, au contraire, comme mineur. Il va "fignoler" une production, un rapport, alors que le supérieur souhaiterait que les choses aillent vite et que, dans ce cas, on produise plutôt de la"grosse cavalerie".

Si la pression du supérieur est alors plus forte, l'inférieur en profitera pour demander des choses qui lui tiennent à coeur et qu'il réclame depuis longtemps sans jamais arriver à les obtenir : davantage de moyens, la possibilité d'un accès à tel service, la mutation d'un membre de son équipe et/ou un recrutement nouveau, etc. La réciprocité inclut l'idée d'une pression possible de celui qui reçoit un ordre sur celui qui le donne. L'inférieur a même intérêt à savoir quelle importance est accordée par le supérieur à l'exécution de l'ordre en question. Plus cette exécution est un enjeu important pour le supérieur, plus l'inférieur pourra tenter d'obtenir les avantages qu'il demande depuis longtemps. Il se développe ainsi toute une stratégie de la connaissance des enjeux des supérieurs permettant aux inférieurs de mener leurs stratégies. Chacun essaie de savoir "ce qui est important pour le chef", parce qu'il est pour lui indispensable de pouvoir définir son comportement en conséquence. Il aligne son objectif sur ceux du chef et il peut alors faire pression de manière efficace.

Il ne peut le faire cependant que dans une certaine mesure, car la relation de pouvoir reste une relation déséquilibrée. Il est incontestable que le supérieur, sauf cas exceptionnels, a davantage de ressources que l'inférieur. On pense ici non seulement au pouvoir formel qui résulte de sa position hiérarchique, mais à sa meilleure maîtrise de l'information, à son système de relations, à ses capacités d'intervention, etc. Incontestablement, il possède davantage d'atouts.


Définition

 On aboutit ainsi à une première définition du pouvoir : le pouvoir de A sur B est la capacité de A d'obtenir que B fasse quelque chose qu'il n'aurait pas fait sans l'intervention de A. Cette définition a l'avantage de montrer clairement la dépendance de B par rapport à A et le fait que A dispose de ressources supérieures à celles de B. Mais elle ne met pas en lumière la réciprocité possible de B par rapport à A. Et si B ne veut pas faire ce que veut A, ou réclame explicitement ou implicitement un prix trop élevé pour exécuter l'ordre ? Concrètement, les choses ne se passent pas vraiment comme le laisse entendre cette définition, qui a un aspect trop mécanique. Avant de donner un ordre tout supérieur s'assure ou a intérêt à s'assurer que son ordre sera exécuté. Faute de quoi, il risque ou une mauvaise exécution ou un affrontement, contre lequel il doit chercher à se garantir au préalable. Faute de quoi il prend le risque d'une épreuve de force qu'il faut prévoir, là aussi.

On en arrive donc, pour la rendre plus proche des faits, à modifier la définition du pouvoir de la manière suivante : le pouvoir de A sur B est la capacité de A d'obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l'échange lui soient favorables. Cette définition efface le caractère d'automatisme de la première. Il n'est jamais vrai que le supérieur, par le seul fait qu'il soit supérieur, puisse obtenir ce qu'il veut. Il doit préparer le terrain, manoeuvrer, avoir un comportement stratégique pour y parvenir. Sa simple position hiérarchique ne suffit pas.

 

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