Expliquer et agir sur les comportements en entreprise

Publié le par ANDRE Thierry

Expliquer les comportements professionnels

Tous les comportements résultent selon le sociologue "R. Boudon" d'un effet conjoint de position (règles formelles et informelles, relation avec les autres individus, accès à l'information…) et de dispositions (mentales, cognitives, affectives, sociales…), situation et disposition sont les deux facteurs explicatifs de tout comportement humain.  Par bon sens, tout le monde s'entendra sans mal sur cette proposition. Et pourtant, si on recense les pratiques de management les plus fréquemment utilisées encore aujourd'hui, on observe qu'elles favorisent le plus souvent deux schémas en particulier.

 - L'approche du comportement humain par les traits de personnalité qui, utilisés en management, visent par exemple à sélectionner, choisir et parfois évaluer les individus uniquement en fonction des caractéristiques psychologiques données, conformes à celles requises idéalement par la situation de travail.

 - L'approche par les motivations qui, elle, vise à expliquer le comportement humain en faisant appel à des mécanismes intrapsychiques supposés présents chez toute personne, en particulier des besoins universaux et généraux.

 Ces deux schémas correspondant à une explication du comportement humain uniquement par les dispositions des individus. On cherche à jouer sur des dispositions latentes chez un individu pour obtenir le comportement recherché. Si dans certaines circonstances ces schémas suffisent à expliquer les comportements au travail, on en rencontre vite les limites

Lorsque, parmi plusieurs candidats, on choisi X plutôt qu’Y ou qu'on remplace à un poste X par Y, on pense que X ayant certains traits de personnalité, de caractère, de tempérament,… ne pourra que se comporter différemment de Y, et que son comportement correspondra davantage à celui attendu dans le cadre du poste en question. Ce faisant, on établit implicitement ou explicitement un lien mécanique entre le comportement des individus et ces caractéristiques personnelles.  On considère que, en toute circonstance, les comportements de X refléteront des caractéristiques propres à X. De la, en déduit qu'en X. existent des sortes de filtres mentaux, collectifs, l'affectif, le type de décoloration constante à ses manières d'être et détermine les comportements quelques soit la situation.

 L'approche les traits de personnalité établie un lien mécanique entre le comportement d'un individu et ces caractéristiques personnelles la psychologie et la psychanalyse ont exploré de manière approfondie la personnalité des individus et fournit des descriptions détaillées des mécanismes et structures intrapsychiques, expliquant ainsi les comportements par les facteurs dispositionnels. Le problème réside davantage dans la transposition trop rapide et l'utilisation qui est faite de leurs schémas explicatifs dans des situations de management, situation ou, sous contrainte de temps et de coût, on cherche à agir sur les comportements pour les orienter vers les objectifs organisationnels.

Dans le cadre d'une cure analytique, on a le temps (hors ceux qui le prennent) d'analyser comment, situation après situation, nos dispositions se pré structurent depuis notre petite enfance : la partie consciente et la partie inconsciente. Mais on a pas le temps de se livrer à un exercice de cette nature dans des situations de management le plus souvent contrainte par l'urgence. Dans la plupart des cas, les référents temporels du management et la psychanalyse sont incompatibles.

Psychologies et psychanalyses ne sont pas les seuls responsables

Cette tendance naturelle, le dont nous sommes tous victimes si on n'y prend garde, n'est pas la seule responsable de la prégnance de l'approche par les traits de personnalité pour expliquer les comportements au travail.

La responsabilité est largement partagée.

Par exemple : la pratique des tests psychologiques, chers aux tayloriens de la première heure, est venue renforcer cette tendance dans le monde de travail. Encore de nos jours dans les offres d'emploi, on recherche quelqu'un comme ceci ou comme cela, de la même manière qu'on achète quelque chose de vert de bleu. Plus grave. Des superstitions, relevant de mentalité moyenâgeuse, préscientifique et mythologique, basée sur des croyances sans fondements, ni scientifiques, ni mêmes expérimentaux comme l'astrologie ou la numérologie, utilisaient par un nombre non marginal d'entreprises dans leurs pratiques de recrutement et de promotion, confirme cette image fixiste et transcendante des traits de caractère stables, homogènes et sans contradiction entre eux.

Les traits de personnalité n'expliquent pas tout.

Bon gré mal gré, nous nous adaptons à la situation. En réalité, nos comportements manifestent une diversité plus grande que nous ne l'estimons. Nous nous référons surtout aux moments et aux situations dans lesquelles nous pouvons nous laisser aller. Dans le cours d'une journée, nous nous adaptons situation, bon gré mal gré, parce qu'il le faut bien et même si cela ne coûte. Le travail, son organisation, les relations de coopération..., créent des situations contraignantes qui exigent des comportements adaptés, réfléchis, moins spontanés qu'on ne le voudrait parfois au premier abord.

L'approche par les motivations et les besoins

Le second schéma explicatif des comportements est aussi une explication par les dispositions, même si la situation y tient une place plus importante que dans l'approche par les traits de personnalité. De manière simplifiée, l'approche par les motivations au travail propose deux schémas explicatifs suivants.

-  Entre un comportement est un besoin, peut exister un lien plus ou moins intense de satisfaction. On obtient l'effet dit de motivation lorsqu'une situation offre des caractéristiques permettant des comportements de travail satisfaisant certains besoins.

- La large vulgarisation de l'approche par les motivations, son succès dans les manuels de marketing, de management ont abouti en faire des applications simplificatrices.

On utilise même aujourd'hui pour caractériser une personne elle serait ou ne serait pas motivée, ce qui strictement ne dit que la moitié des choses on est en effet motivé par quelque chose. En fait, tout le monde et motivé : par le pain pour se nourrir, par la recherche d'un objet pour satisfaire un hobby,...  Faut-il rappeler que motiver se rattache à un motif : ce qui poussa faire quelque chose. La motivation est une force intérieure qui pousse à agir.

La motivation résulte d'une tension liée à un besoin et déclenche un comportement visant à le satisfaire. Le besoin se traduit par tension déclenche comportements, le comportement répond et produit un sentiment de satisfaction.

Les besoins sont abstraits, les situations de travail concrètes.

 On retiendra principalement deux raisons d'échecs.

- D'une part, les besoins de l'approche par les motivations sont généraux et abstraits, le les situations de travail sont, quant à elles, spécifiques et concrètes.

 - D'autre part, si chacun d'entre nous ressent bien des besoins, tout le monde ne perçoit pas forcément son travail comme un moyen évident de les satisfaire et, comme c'est le cas, les besoins que nous cherchons à satisfaire par le travail sont fonction de nos origines socioculturelles, d'autres histoires personnelles,... varient au fil du temps et évoluent au regard de nos expériences, c'est-à-dire qu'ils nous sont particuliers et sont changeant : ce qui motive les uns ne motive pas forcément les autres, et ce qui motive aujourd'hui ne me motivera pas forcément demain. Il est donc vain de chercher à faire entrer tout le monde dans un même moule.

- Enfin, critique non négligeable, les salariés ne sont pas passivement déterminés par leurs besoins. Nous ne sommes pas esclaves de la motivation. En arrivant le matin au travail, nous ne laissons pas notre cœur au vestiaire, soit ; mais nous ne laissons pas non plus notre tête. Ne sous-estimons pas l'intelligence des individus dans l'explication de leur comportement au travail.

Il ne suffit pas de leur offrir des postes conformes à leurs besoins pour qu'ils agissent de manière automatique et mécanique.

 Partir de la situation plutôt que des dispositions

On comprend aisément les limites des approches dispositionnelles pour le management. Agir sur les dispositions d'un individu pour modifier son comportement au travail n'a rien d'évident. Vouloir changer les individus relève souvent de fantasmes ou de pure illusion. Ces dernières se sont transformées en désillusion pour trop de managers.

La motivation travail : (l'arlésienne, tout le monde en parle, mais personne ne l'a jamais rencontrée) une notion valises pour les consultants en mal de méthodologie. Il n'est pas nécessaire de comprendre les causes intrapsychiques pour travailler sur les effets

Il n'y a pas de déterminisme culturel.

Se tourner vers la situation, mais attention à ne pas céder aux tentations simplisme en tombant dans l'excès inverse. Moins que de déterminer mécaniquement nos comportements, la culture influence les possibilités de réponse à un problème donné.

Pierre Morin

Président d'honneur et directeur scientifique d’IDRH, société spécialisée en management et organisation

Eric Delavallée

Enseignant à l'IAE de Paris et consultant en management  et organisation.

 

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